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DISPHORIA - "Sleep And Fly Away... You'll Be Tortured Forever"


1. Destructive Rage, 2. Cold Dead Light, 3. Along the Way, 4. Inherent Dystopia, 5. Submission, 6. The Other Side, 7. Existence, 8. 1982, 9. Sarah


Si les premières écoutes de groupes hardcores sont souvent effectuées à reculons, hésitantes et difficiles, c'est qu'en dépit du talent incontestable de certains groupes (H-Tray, 8vision, Heyem, Parkway Drive, etc) beaucoup de personnes sont allergiques à la voix screamo et beuglarde qui caractérise le chant de ce style de musique. Mal-aimé du grand public, là où le metal arrive à toucher les foules grâce à des classiques comme Iron Maiden, ACDC, Metallica et autres, le hardcore n'a pas droit à autant de considération. Au mieux, on en trouve au Hell Fest, dans le montant Roadburn ou des festivals hardcore tellement underground qu'on en entend jamais parler. La faute aux clichés qui ont la dent dure. Dans la région Midi-Pyrénées par exemple The Act of Fortune s'est taillé une belle réputation et se fait l'un des principaux garants du genre, un classique si l'on veut mais qui en a dégouté plus d'un du hardcore. Trop brute, trop trash, trop prévisible... et surtout: aucune subtilité vocale. Les préjugés pleuvent et on enterre gentiment ce style de musique avant même d'en avoir écouté. C'était sans compter sur l'émergence de petits prodiges.

Disphoria fait partie de ces groupes qui valent la peine qu'on les affranchissent des mauvaises langues. Leur album "Sleep and fly away... you'll be tortured forever" sorti en septembre 2004 chez Galy Records est un condensé de sons pêchus appuyés par un chant mâtiné de différents timbres de voix, brassé à la rage, variablement teinté d'humeurs opposables et changeantes. Les contraires s'attirent et les incompatibilités s'embrassent sur un fond à la fois mélodique, rapide et recherché. Certains ont commencé à changer de discours. Ils ne peuvent pas souffrir The Act of Fortune, Sick of It All, et la old school punk hardcore et pourtant Disphoria fait son effet, viscéralement hardcore mais excusé puisqu'il fait partie de ces groupes qui démontrent que l'étiquette "brute, sale, gras" qui colle au genre n'est pas toujours justifiée. Le hardcore a gagné du galon.

Pour en revenir au principal concerné, Disphoria est un groupe toulousain qui s'est formé en 2000 et a sorti sa première démo la même année, puis une deuxième intitulée "Art of Depravity" en 2001. Le morceau The gift crache un son entièrement brute, beaucoup moins abouti et original que ce que le LP contiendra. En 2004, c'est donc la sortie du fameux album avec Julien au chant, Sux et Mika à la guitare, Mael à la batterie et Anne à la basse. L'atout majeur du groupe est d'allier l'essence hardcore (un chant rauque et brutal) et d'explorer plusieurs facettes de la voix en évitant au passage de se flinguer les cordes vocales et de lasser l'auditoire. Combien de fois avons-nous entendu "les cris, ça compte comme du chant?". Eh oui! Surtout que dans le cas de Disphoria on nous épargne la gueule continue en nous envoyant également planer au dessus des pogos lors de ces fameuses expériences vocales. On cesse alors de jouer des coudes pour écouter plus attentivement le chant et même si la prédominance appartient aux hurlements,le groupe sonne différent, plus sensible, peut-être trop pour du hardcore selon certains. Le groupe a pour lui ce chant puissant, toujours juste, tour à tour clair, saturé, mélodieux, rageur, sur le rythme d'un tempo recherché et changeant. Dans Inherent Dystopia le groupe opère une montée qui va crescendo entrecoupée de ponts qui permettent un repos de la voix et des envolées lyriques. Oui, on parle toujours de hardcore, et les rythmes n'en finissent pas de varier tour à tour apaisés ou déchaînés par Julien. Les deux bords se font echo dans un précipité de contenus et de lâchez-prises à l'aide d'un trash puissant mais paradoxalement subtil et beau à écouter. Dans le morceau Inherent Distopia, Julien exploite sa voix à différentes hauteurs, décomposée sous différents timbres de voix et toujours en osmose avec un quatuor d'instruments qui s'imprègne de ses variations vocales. Ici, le groupe ne se réduit pas à déverser du brutal d'un bout à l'autre de l'album. Alors que The Act of Fortune ne s'embarrasse pas de subtilités vocales, Disphoria travaille particulièrement la mélodie de ses compositions afin qu'elles collent parfaitement avec le chant. Dans Existence, le rythme des instruments est en parfaite symbiose avec le flux vocal. Ainsi, Julien en vient à chanter d'une voix douce et claire, à gueuler, hurler. Il développe sa voix sous toutes les coutures, alternant de puissants accents hardcore et l'usage d'un grunt primitif, mais aussi le chant clair au cours de brèves et éphémères ballades.

Disphoria a trouvé le juste milieu entre la débauche sonore du hardcore et l'incorporation de multiples éléments qui rendent l'écoute de cet album pleine de surprises et d'impulsions divergentes, et même si les prémisses d'accalmies sont anéanties à coup de changements brusques et incessants, Disphoria laisse entendre l'émotion qui transpire de ses textes. Si le hardcore n'a rien de clean, on constate rapidemment que ce genre n'est pas plus inintéressant qu'un autre et qu'il ne rime pas uniquement avec violence, pogo et beuglements. Si Condkoï a choisi de crier des paroles où sexe, mort et humour font bon ménage et déchirent la baraque, Disphoria souligne également les moments de fragilité et de naïveté que nous ressentons tous, des textes à découvrir sur tintinabulae.blogspot.com. "Sleep and fly away... you'll be tortured forever" est un album qui met du jus dans les pattes et offre du sang neuf à un genre qualifié de purement primal.

Charlotte Noailles.