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MY OWN PRIVATE ALASKA - "EP"



1. Die For Me (If I Say Please), 2. Page Of A Dictionary, 3. Ego Zero, 4. Kill Me Twice, 5. I Am An Island 6. First Steps


M.O.P.A, « Three sitting guys » ou la quintessence d'un groupe en pleine introspection avec Yohan à la batterie (Aeria Microcosme), Milka au chant (Agora Fidelio, Psykup) et le mystérieux T au piano. En mai dernier, le label Division Records a sorti la reissue de l'EP de 2007, l'occasion pour les retardataires de se procurer leurs morceaux à la croisée du screamo et de la musique classique. Tout un univers visuel et émotionnel à découvrir sans tarder. Pour l'actualité, M.O.P.A peaufine actuellement son premier album.

Indépendamment de sa formation peu courante: voix/piano/batterie, l'un des attraits majeurs de M.O.P.A est de proposer une ambivalence entre la beauté classique et un hardcore lyrique (on peut penser à Asidefromaday ou encore Impure Wilhelmina qui utilisent également un chant screamo). Cette alliance étonnante a donné naissance à des morceaux de l'entre-deux, sur deux tonalités distinctes mais complémentaires. Durant les concerts, la distance entre le public et les musiciens (tous trois assis) fait d'ailleurs partie de la mise en scène, comme s'ils ne nous étaient pas violemment offerts à la dégustation mais dévoilés avec une certaine réserve. Voyage à travers six titres marqués par un intime exprimé en un duo des contraires (cris et virtuosité classique). Avec ces trois-là nous sommes loin de la musique doucereuse qu'on écoute les pantoufles aux pieds ou passivement installé dans un fauteuil, mais à ciel ouvert, la peau écorchée et l'introspection en étendard.

Un piano, une batterie et une voix à des lieux de la sérénité. Quelque chose entre un Aaron monstrueux et un Chopin couplé à la créature Will Haven. L'EP débute par Die for me (If I say please) en un sublime duo piano/batterie avant que Milka n'entame une demande de pardon et parle du faible espoir d'une réciprocité, Would you die for me? Would you sacrifice? On the second day I'll bring you flowers. Une conquête entre deux êtres avant la déception annoncée. Cette voix a de la gueule, aspire, expire et éjecte des volets de sons éraillés et sauvages. Doucement et plus ou moins tempérés, les mots s'effilochent au fil des textes pour augmenter la tension de l'âme torturée. Au milieu du champ de bataille des sens et des sentiments, l'image de l'Alaska nous enfonce davantage dans l'intime, comme une plongée dans le froid brutal de la sauvage nature. Il y a le risque de fuir à l'écoute de la voix saturée, la musique restera alors opaque, un bloc d'obscurité alors que le piano et la batterie valent à eux-seuls leur pesant d'émotions. Dans Kill me twice le contraste est particulièrement fort entre la voix et une fugue limpide à la Chopin, une traversée douce et mélodique que suivra une accalmie vocale ainsi que plusieurs passages en chant clair, ovnis dans un EP qui n'en contient pas. Les reproches pleuvent à mesure que le morceau progresse. You were supposed to love me, You were supposed to play a part, You were supposed to talk, to reinvent, to kiss or kill. Il est l'un des sommets de l'EP, à l'image des paysages vertigineux et des gouffres de l'Alaska.

Pour ne rien gâcher, les compositions au piano sont magnifiques, avis aux amateurs de Chopin, de Bach ou plus largement de Yann Tiersen (voir Comptine d'un autre été) qui ne pourront qu'apprécier les compositions fluides de T. Le piano qui reste un instrument catégorisé « classique » ne dément pas ses origines avec M.O.P.A et nous rapproche des BO de films aux ambiances solennelles et spirituelles qui jouent pour beaucoup dans l'appréciation d'un long-métrage. On pense à Philip Glass ou à Danny Elfman (une des influences déclarées de M.O.P.A) mais comme le trio ne fait pas dans le plagiat (je sortirais bien le nom du groupe qui pompe tous les riffs d'untel, mais non) M.O.P.A ne se contente pas d'ambiances, mais traite des deux moyens d'exprimer un sentiment: de façon délicate (piano et batterie) et violente (chant). « Le fabuleux destin d'Amélie Poulain » résonne dans nos mémoires grâce à Yann Tiersen et ses douces ballades, alors qu'avec M.O.P.A l'angoisse est omniprésente et le film « My Own Private Idaho » (de Gus Van Sant) change de lieu pour une fouillée dans les cordes graves et souffrantes de Milka. Pourquoi cette symbiose étrange entre un chant hurlé, une batterie doom et aérienne, et un instrument aussi classique que le piano? Pour échapper à la facilité peut-être, pour sortir du lot? Sûrement (qui n'en rêve pas?). Tout est fait pour focaliser notre attention sur les mots. Alors, ça parle de quoi?

Via un processus vieux comme le monde, l'EP apparaît comme une catharsis pour le trio. La tragédie à la M.O.P.A ressemble à des mots mis à mal qui mettent la souffrance sur le devant de la scène en la disséquant. Trois interprétations différentes: par le langage (tous les textes sont en anglais), un tempo aérien et la mélodie classique du piano. Quant au pourquoi d'une voix éraillée couplée à la beauté de compositions propres et introspectives on comprend qu'il s'agit de donner de l'importance aux émotions et à l'écriture, d'interpeller. Cet EP éblouit par sa richesse et on ne peut qu'attendre impatiemment le futur album (Merci Ross Robinson). Le tout n'a rien à voir avec le souci de s'affranchir de groupes comme Aaron ou The Dresden Dolls. La voix claire a pris le large, perdue dans les vastes plaines de l'Alaska, dans les bois dans lesquels elle a mué. Le souffle de la civilisation est redevenu sauvage et indompté.

La seule barrière réside dans ce chant screamo a priori incompatible avec le sublime qui émane du duo instrumental. A priori seulement, car à y regarder de plus près ce chant vorace et féroce qui délivre ses peurs et déceptions pourrait être la bande-son de textes romantiques garants d'une littérature de l'âme. Les mots ne pouvaient donner qu'une peinture descriptive des tourments de l'homme et la détresse restait un cri qu'on ne pouvait qu'imaginer à la lecture. Le sublime et l'aura classique qui émanent de M.O.P.A affirment la légitimité du sentiment douloureux à être inscriptible sur tout support. Sur le CD, l'authentique parole torturée se libère dans un contexte intimiste et rassurant créé par le piano et ses compositions nettes et propres. Comme le pianiste Glenn Gould apportait un surplus délectable à la musique déjà parfaite de Bach avec une finesse saisissante, My Own Private Alaska réinvente le cabaret rock, loin des atours punk de The Dresden Dolls et du flux dominant. Le groupe se fait voix d'une littérature, d'une foi en l'expression telle qu'elle se ressent au fond de soi. Violente, la jalousie serre la gorge, la gonfle de souffrance, ce que Milka traduit parfaitement dans le choix d'un screamo qui balance entre les crescendo et decrescendo brutaux. La moindre parcelle de ses mots résonnent clairs et concis, Ego Zero Let's run away from me Don't come to me little princess Running away. Vous voilà avertis, la douleur a sorti ses griffes. Se tenir à l'écart et le clamer avec rage. I am an island, Everybody hurts and everybody cries – I am an island. It's not a song it's just fucking reality. Quelqu'un a le blues? Ce trio, oui, incontestablement, un blues romantique à la sauce hardcore. Trois âmes éviscérées.

Les non-amateurs de screamo regretteront le choix du trio pour la saturation vocale, mais à l'écoute des textes on comprend qu'il s'agit d'un choix cohérent avec l'art indicible de dire les souffrances, de décrire le gouffre et la mort: I am an island, Did you know a man killed his own family, If I don't kill myself, it's cause I've already left. Les complaintes de l'âme pourront en rebuter plus d'un, musique exutoire face à un symptôme bien connu des poètes. Le spleen et sa bile noire ne sont pas arrêtés avec Baudelaire. I am an Island débute en une fugue accélérée et puissante, le chant en crescendo est viscéralement éveillé. Il n'est plus maladif et mourant mais le cri d'un dernier coup de gueule à l'aide d'un piano en spirales et d'un mezzo renforcé d'a-coups brutaux donnés sur le clavier. A la fin du morceau on perçoit un growl de fond, puis des hurlements jusqu'à l'extinction.
Un piano animé par un air de fugue, une batterie en soutien, l'osmose, alors même si le chant brisé n'est pas forcément accessible, les cris de Milka sont parfaitement orchestrés et insérés intelligemment au sein de ce trio de feu. Il ne donne à aucun moment l'impression d'être un intrus. Bouillonnante et plaintive, la voix s'échelonne par dessus un piano incessant. Des trois instruments c'est celui qu'on retiendra en priorité devant une batterie souvent trop discrète excepté dans Page of a Dictionary dans lequel elle est en duo avec le chant, le piano s'arrêtant alors de jouer. Avec First step on retrouve le 7ème Art pour un morceau purgé de chanteur et une douce entrée en matière opérée par des notes espacées allant du mezzo nostalgique à des descentes plus enjouées dans un solo brillamment mené par T. Le piano est seul. My Own Private Alaska tire sa révérence en laissant une ballade instrumentale se charger des adieux et nous rappeler la beauté des paysages glacés.

Original, désespéré, en marge, M.O.P.A vide son sac avec talent. Certaines oreilles se révèleront attentives et réceptives d'abord charmées par le piano, fil conducteur qui transforme les plus sceptiques en grands attentifs, curieux, piqués soudainement à vif après avoir premièrement grimacé à l'écoute atypique du beau et du laid regroupés. Pour d'autres il faudra plusieurs écoutes avant de se laisser charmer par la bête. Après le choc de la première écoute la bizarrerie prend tout son sens. En concert, on comprend alors la mise en scène des trois musiciens. Three sitting guys, chacun voué à son instrument, chacun enrichissant l'autre de sa complainte propre. Un sublime enragé dont les trois niveaux d'interprétation nous entraînent dans les profondeurs déformantes et agitées de l'intime.


"Le lyrisme de la souffrance est un chant du sang, de la chair et des nerfs", Cioran dans Sur les cimes du désespoir.

Charlotte Noailles.

8 comments:

The Aurelio Blog a dit…

très jolie chronique

:)

A.

coconut a dit…

Merci!
Un peu longue peut-être? ^^

The Aurelio Blog a dit…

un poil longue selon moi...

mais pour la simple raison que la lecture d'un article web est sans doute moins agréable qu'un article papier...

après, chacun fait comme il le sent :)

coconut a dit…

Il ne reste plus qu'à créer un mag!
Sauvons la presse!

Charlotte a dit…

Hey !
Je viens de voir ton comment sur mon blog et donc de lire cet article. J'avais envie pour te dire ce que tes mots me font ressentir des adjectifs comme "magnifique" mais ça paraîtrait trop dithyrambique.
Par conséquent, je vais m'en tenir à un "merci de m'avoir fait découvrir ton ressenti" et à un "je ressens exactement la même chose que toi".

C'est exactement ça M.O.P.A : un doux mélange amer de subtilité, de douceur, de cri indicible, de blessures, de classique (à la Chopin, vraiment ? :D).

Ce post m'a donné envie d'en refaire un, sur ce fabuleux groupe et envie de voir le film que Milka m'a avoué être une des deux origines du titre (mais ça tu le sais déjà ;) ).

A très vite, Charlotte bis :)

coconut a dit…

Salut! contente que tu sois passée par ici, et merci pour les compliments.
Et oui oui je confirme "à la Chopin", mais un Chopin coursé par une bête enragée et avec beaucoup de cris par dessus (comment ça le compo se retourne dans sa tombe, il n'aime pas la comparaison?).

A priori j'étais mal partie pour écrire une chronique sur le groupe.
J'avais vu M.O.P.A au Furia Antistatic en décembre dernier et je n'avais pas du tout aimé (?)... à cause du chant. Peu de temps après on m'envoie l'EP et je me retrouve à l'écouter en boucle ^^

Si tu décides de faire une chro ou un report Live, tell me! et je viendrai par chez toi.

Charlotte a dit…

Coconut > Mais que oui si je fais une interview photographique, je t'envoie un mail ;)

Je t'embrasse et te souhaite une bonne soirée :)

coconut a dit…

Que dis-je, c'était au Papa Now Hell Fest.